Dans cette publication d’une série de trois produit par The Lancet, il est question, d’une part, comment les attributs de la mère et du bébé (au niveau individuel) interagissent avec les déterminants de l’allaitement à d’autres niveaux. D’autre part, il est soulevé ici comment ces interactions affectent les résultats de l’allaitement, puis une identification est effectuée quant à certaines politiques et interventions nécessaires pour parvenir à un allaitement optimal.
Dans les pays à revenu faible et moyen, environ un nouveau-né sur trois reçoit des aliments prélactiques, et seulement un nouveau-né sur deux est mis au sein dans la première heure de vie. L’alimentation prélactique est fortement associée à une initiation tardive à l’allaitement. L’insuffisance de lait perçue par les parents demeure l’une des raisons les plus courantes de l’introduction de préparations commerciales pour nourrissons (PCN) et de l’arrêt de l’allaitement.
Les parents et les professionnel(le)s de la santé interprètent souvent à tort les comportements typiques et instables des bébés comme des signes d’insuffisance ou d’inadéquation du lait. Dans notre monde axé sur le marché et en violation du Code international de commercialisation des substituts du lait maternel et des résolutions subséquentes de l’Assemblée mondiale de la Santé de l’OMS, l’industrie des PCN exploite les préoccupations des parents concernant ces comportements avec des allégations de produits et des messages publicitaires infondés.
Une synthèse d’examens et d’études de cas réalisés entre 2016 et 2021 indiquent que les pratiques d’allaitement au niveau de la population peuvent être améliorées rapidement par des interventions à plusieurs niveaux et à l’aide de plusieurs composantes à travers le modèle socio-écologique et les contextes. De plus, l’allaitement n’est pas la seule responsabilité des femmes et nécessite des approches sociétales collectives qui tiennent compte des inégalités entre les sexes.
Des efforts supplémentaires d’éducation sont nécessaires pour les professionnel(le)s de la santé, les familles et le public afin de les informer sur le développement normal des jeunes enfants, y compris les schémas de pleurs courants, la possession et les courtes durées de sommeil nocturne, afin de réduire l’introduction inutile des PCN et de prévenir les croyances d’insuffisance de lait et l’arrêt précoce de l’allaitement. Ces signes n’ont pas été pris en compte de manière adéquate dans les systèmes de santé à ce jour.
Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles les nourrissons pleurent, notamment la faim, les changements de température ou d’autres désagréments. Plusieurs réponses parentales parviennent à réduire les pleurs : s’occuper des causes immédiates, comme une couche mouillée ; des techniques d’apaisement et de réconfort, comme porter, bercer et masser ; et l’alimentation, en particulier l’allaitement, qui implique un contact corporel étroit et la succion réduit la détresse et les pleurs. Cependant, en l’absence d’un soutien et d’un réconfort compétents et bien informés, de nombreux parents changent d’alimentation, passant de l’allaitement maternel aux PCN, d’une PCN à l’autre, ou à des PCN spécialisées qui, en violation du Code, prétendent sans preuve, de réduire les allergies, aider les coliques et prolonger le sommeil nocturne.
Le lait maternel lui-même est une source alimentaire vivante hautement adaptative et, en raison de sa nature dynamique, il est plus que ses composants nutritifs. Le lait maternel comprend des substances bioactives nutritives et non nutritives (hormones, facteurs immunitaires, oligosaccharides et microbes vivants) qui, collectivement et par le biais d’interactions complexes entre elles et avec les états biologiques, sociaux et psychologiques de la mère et du nourrisson pendant l’allaitement, jouent un rôle crucial dans la croissance et le développement du nourrisson.
Par conséquent, la composition du lait maternel change au cours de chaque épisode d’alimentation et au fur et à mesure que le nourrisson se développe, en fonction de l’état physique et émotionnel de la dyade mère-enfant. Les interactions et les résultats de l’allaitement maternel ne peuvent être reproduits artificiellement, comme le montrent clairement les preuves passées et nouvelles.
Des conclusions de cette première étude du Lancet
Les actions politiques et les mesures suivantes sont nécessaires pour soutenir les mères qui souhaitent allaiter :
- Des investissements dans la sensibilisation et l’éducation du public sont nécessaires pour que les décideurs politiques et le grand public reconnaissent les preuves scientifiques croissantes que l’allaitement est le système d’alimentation évolué et approprié pour optimiser la survie, la santé et le bien-être de la mère et de l’enfant. Les idées fausses sur l’équivalence entre les préparations commerciales pour nourrissons (PCN) et le lait maternel doivent être corrigées par l’intermédiaire de programmes d’éducation sanitaire de grande envergure destinés au public et aux décideurs politiques.
- Des conseillères et un soutien qualifiés doivent être fournis à toutes les mères avant et après l’accouchement afin de prévenir et d’agir sur les perceptions d’insuffisance de lait et pour éviter l’introduction précoce d’aliments prélactiques ou de PCN, car ils constituent des facteurs de risque majeurs pour l’arrêt prématuré de l’allaitement exclusif, et de tout allaitement.
- Les professionnel(le)s de la santé, les mères, les familles et les communautés doivent bénéficier d’un meilleur soutien éducatif et d’un développement des compétences – exempt de toute influence commerciale – pour interpréter les comportements instables des bébés comme une phase attendue et prévisible du développement humain. Les professionnel(le)s de la santé devraient offrir des conseils anticipés, dès la grossesse et après l’accouchement, pour préparer les mères et les autres personnes qui s’occupent des enfants à réagir aux comportements instables des bébés et au marketing de l’industrie qui viole le Code de l’OMS. Cette aide facilitera la poursuite et la réussite de l’allaitement.
- Des politiques intersectorielles (par exemple, les secteurs de la santé, du développement social, de l’éducation, du travail et de la réglementation) qui s’attaquent aux obstacles à l’allaitement à plusieurs niveaux doivent être mises en œuvre pour permettre aux mères d’allaiter leurs enfants de manière optimale aussi longtemps qu’elles le souhaitent ou que leur bébé le souhaite. Ces politiques doivent être fondées sur les principes d’équité, de droits de l’homme et de santé publique et être rendues possibles grâce à un engagement politique et sociétal en faveur de l’allaitement à l’échelle du système.
Crédit photo: Nathália Rosa