Partage de la prise de décision entre le personnel de la santé et les parents pour l’alimentation des nourrissons durant la pandémie de la COVID

par | 13 janvier 21 | Québec, Monde, Publications - Rapports - Études

Traduction libre par le MAQ d’un article co-écrit par deux collaboratrices du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. Pour les références, voir l’article original.

Haiek LN, LeDrew M, Charette C, Bartick M. (2021). Shared decision-making for infant feeding and care during the coronavirus disease 2019 pandemic. Matern ChildNutr. 2021;e13129. https://doi.org/10.1111/mcn.13129


Introduction

Depuis que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a reconnu le caractère pandémique de la maladie du coronavirus (COVID-19) le 11 mars 2020 dernier, les organisations de santé publique et les gouvernements du monde entier ont publié des lignes directrices pour assurer la santé des femmes enceintes, des nourrissons et des jeunes enfants.

Bien que l’OMS recommande l’allaitement, le contact peau à peau, la cohabitation et le maintien d’une proximité étroite pour les mères chez qui la présence de la COVID-19 est suspectée ou confirmée, certaines organisations nationales et professionnelles se sont écartées des recommandations de l’OMS.

Par exemple, les États-Unis, la Chine et l’Inde ont initialement favorisé l’option de la séparation de la mère et du nourrisson, ne soutenant pas l’allaitement direct (c’est-à-dire au sein), mais permettant l’administration du lait exprimé.

À l’inverse, le Canada, l’Italie et le Royaume-Uni se sont maintenus près des recommandations de l’OMS. En outre, le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) a indiqué que de nombreux pays à faible et moyen revenu ont continué de mettre en œuvre des programmes de contact peau à peau, de colocation, d’expression du lait maternel et de conseil en matière d’allaitement, malgré la pandémie.

En général, les premières directives pour la COVID-19 dans les hôpitaux ont fait passer le principe de précaution devant l’allaitement en tant qu’étape incontournable pour la nutrition des nourrissons et des jeunes enfants. Établir l’allaitement devient alors difficile si on ne respecte pas la physiologie, le contact précoce et ininterrompu du peau à peau, la cohabitation et l’allaitement au sein après la naissance.

Les mères et les nourrissons qui ont été séparés peuvent être incapables d’établir l’allaitement même une fois réunis. De plus, la plupart des directives ne tiennent pas compte du fait que l’allaitement peut se poursuivre pendant des mois, voire des années, et que la grande majorité des femmes susceptibles de prendre des décisions – concernant l’alimentation et les soins de leurs nourrissons et jeunes enfants – se retrouvent chez eux.

Malgré des décennies de recherche mettant en évidence l’importance de l’allaitement et des risques associés aux préparations commerciales pour nourrissons (PCN), la pandémie a mis de l’avant la présomption cachée selon laquelle l’allaitement n’a pas de conséquences pour la mère ou l’enfant. Cette présomption vient du fait que l’alimentation par les PCN a été chose courante depuis des décennies dans plusieurs pays, et ce, durant lesquelles des couches de recommandations successives en matière de politique de santé ont été élaborées.

Par conséquent, les taux d’allaitement d’aujourd’hui n’atteignent pas les objectifs internationaux et l’importance de l’allaitement sur la santé des nourrissons n’est toujours pas reconnue – même dans des conditions non urgentes ou en temps normal. Cela entraîne un certain nombre de conséquences (non intentionnelles) qui sont ressorties pendant la pandémie :

  • Si la recommandation générale d’allaiter n’est pas clairement communiquée par le personnel de la santé aux mères infectées de la COVID-19, les parents sont laissés à eux-mêmes pour prendre des décisions. Les parents peuvent ainsi ne pas être informés de manière appropriée sur les risques du non-allaitement – autant pour la mère que pour le nourrisson. Une discussion sur les risques est donc de mise et devrait inclure, en particulier, les risques connus d’infections graves des voies respiratoires inférieures chez les nourrissons qui ne sont pas exclusivement allaités au sein. Parmi ces risques, on retrouve maintenant potentiellement aussi le risque d’infection grave par le coronavirus 2 du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS-CoV-2).
  • Une grande partie des messages négatifs liés aux risques pour les nourrissons ne concerne que celui de la transmission virale. Et peu d’attention est accordée à la question du risque d’infection d’un point de vue clinique.
  • Les politiques de séparation entre la mère et son nourrisson ne tiennent pas compte du fait que peu de familles ont les ressources nécessaires pour poursuivre la séparation à la maison. Même si la séparation peut empêcher l’exposition pendant le séjour à l’hôpital, elle n’empêche pas l’exposition après la sortie. De plus, la plupart des données montrent qu’il n’y a pas de conséquences néfastes si les nourrissons demeurent dans une chambre avec leur mère infectée. Et la seule publication s’opposant à cette idée n’a pas récolté suffisamment de preuves pour être incluse dans les discussions avec les parents.
  • Les recommandations pour les mères atteintes de la COVID-19 sont axées sur les précautions à prendre pendant l’allaitement plutôt que sur les précautions à prendre lors d’un contact étroit avec leur enfant. À l’inverse, peu de conseils et de précautions ont été formulés pour les bébés qui sont nourris avec des préparations commerciales pour nourrissons (PCN) au biberon – même si ce mode d’alimentation implique également un contact étroit, ce qui peut faire courir un risque supplémentaire à ces nourrissons.
  • Des inquiétudes ont émergé à l’égard de certaines recommandations initiales caractérisées par un excès de précautions (par exemple : laver la zone du sein avant chaque tétée ou envelopper le nourrisson dans une serviette pour éviter le contact peau à peau pendant l’allaitement), ce qui auraient eu un impact négatif sur l’allaitement. Pour la plupart, ces directives ont depuis été supprimées.
  • Les nombreuses précautions proposées pour éviter la transmission de la COVID-19 des mères à leurs bébés peuvent avoir une influence sur les mères qui ne sont pas connues pour avoir été infectées, mais qui craignent néanmoins de transmettre ce virus à leur enfant. Cela peut aussi interférer avec les pratiques de soins, fondées sur des données probantes, et risque de causer un stress important à la dyade.
  • Les mesures visant à éviter la transmission telles que le confinement prolongé augmentent la prévalence de la dépression et de l’anxiété pendant le début de la période post-partum.

Ces nombreux cas démontrent que la COVID-19 risque de réduire les taux d’allaitement exclusif, et non exclusif, particulièrement durant la période critique de la naissance à 6-8 semaines – une période où les femmes sont portées à abandonner l’allaitement en raison de difficultés, d’inquiétudes et de contraintes à recevoir du soutien à l’allaitement en personne, si nécessaire. Ces cas rapportés dans les services de santé pourraient permettre à l’industrie des PCN de tirer parti de la crise et d’élargir le fossé des inégalités chez les familles les plus susceptibles d’être touchées par le chômage croissant et la pénurie alimentaire sporadique.

Le sevrage partiel ou total peut avoir pour conséquence de rendre le nourrisson vulnérable à de graves infections des voies respiratoires inférieures. Ils peuvent aussi avoir pour conséquence de rendre le nourrisson vulnérable à la COVID-19, ainsi qu’à d’autres infections ou maladies non transmissibles et peut également compromettre la santé maternelle.

Alors que les premières vagues de la pandémie se déplacent dans de nombreuses régions du monde, il est impératif de prendre pleinement en considération non seulement les risques de morbidité et de mortalité graves liés à la crise de la COVID-19, mais aussi la crise de santé publique qui en résulterait si l’exclusivité et la durée de l’allaitement venaient à diminuer.

Cet article vise à soutenir le processus de partage de la prise de décision pendant la période de la pandémie de la COVID-19, mais pourrait être applicable aussi à d’autres situations d’urgence de santé publique. L’article s’adresse aux parents qui s’inquiètent de la COVID-19 et aux femmes dont l’infection est suspectée ou confirmée au moment de l’accouchement ou alors qui prennent soin de leurs jeunes enfants. Munro et coll. décrivent le partage de la prise décision comme une forme de conseil non directif où un membre du personnel de la santé et la personne concernée se réunissent en tant qu’expert(e)s, respectivement en matière de preuves cliniques et d’expérience liée au vécu.

Cette division du pouvoir permet de transformer le discours d’éducation en échange d’informations, ce qui aide les parents à atteindre leurs objectifs tout en évaluant les conséquences des décisions pour la santé de la mère et de son enfant. Le résultat idéal d’un processus de partage de la prise décision est constructif si c’est une décision parentale qui est documentée, conforme aux préférences et aux valeurs personnelles des parents, et pour laquelle on veille à sa mise en œuvre.

Le personnel de la santé bénéficierait à acquérir des compétences pour soutenir le processus décisionnel relatif aux soins et à l’alimentation des nourrissons pendant la pandémie. Les étapes pour y parvenir sont présentées sur la base d’un cadre visant à structurer le processus et est présenté ci-dessous. Pour atteindre et élargir leurs compétences sur l’alimentation et les soins des nourrissons dans les situations d’urgence, le personnel de la santé est encouragé à évaluer leurs besoins en formation continue – en ce qui a trait au partage de la prise de décision, à l’allaitement et à d’autres approches développées spécifiquement pour répondre à la COVID-19 – en examinant les outils existants ou nouveaux.

Bien que le terme « mère » soit utilisé tout au long de l’article, les auteurs comprennent que tous les parents ne s’identifient pas comme femmes ou mères. Le personnel de la santé est encouragé à utiliser les termes les plus acceptables pour les parents. Lorsque la mère n’est pas physiquement capable de participer au processus décisionnel (par exemple, si elle est très malade), il est important d’inclure le décideur suppléant qu’elle a désigné.


Résumé des sections de l’article

  • Explorer ce que savent les parents au sujet des soins et de l’alimentation des nourrissons à l’ère de la COVID
    – Que savons-nous présentement au sujet de l’infection infantile de la COVID ?
    – Que savons-nous au sujet de l’importance du contact étroit entre la mère et son enfant et des risques associés à la séparation durant la pandémie ?
    – Que savons-nous au sujet de la protection accordée par l’allaitement et les risques du non-allaitement durant la pandémie ?
  • Explorer quelles valeurs les parents placent sur les bénéfices, les risques et les incertitudes reliés aux décisions en matière de soins et de l’alimentation du nourrisson – « Dites-moi quelles sont vos inquiétudes au sujet de l’alimentation et des soins de votre bébé ? »
  • Soutenir les parents afin qu’ils puissent prendre leur décision et l’implanter – « Comment voyez-vous votre situation maintenant et comment puis-je vous aider ? »
    – À l’hôpital/centre de naissance
    – À la maison

(Cliquez sur l’image pour l’agrandir)

 

Conclusion

La pandémie de la COVID a mis de l’avant l’importance d’une approche personnalisée auprès des parents afin qu’ils puissent considérer la complexité des décisions liées à l’alimentation et le bien-être de leur enfant. Ces décisions peuvent avoir des conséquences à vie sur la santé de leur nourrisson ou jeune enfant ainsi que sur la mère. Lors d’une consultation avec des familles, il est important de transmettre le message que l’allaitement et le contact rapproché entre les mères et leur enfant sont recommandés durant la pandémie de la COVID-19, et ce, même si la mère est infectée par le virus. Le personnel de la santé doit identifier leurs besoins en matière de formation continue afin d’assurer, dans un premier temps, un processus qui réflète le partage de la prise de décision avec les parents et, dans un deuxième temps,  afin de renforcer adéquatement les compétences parentales en matière d’alimentation des nourrissons. Ceci permettra au personnel de la santé de soutenir le processus décisionnel tout en respectant les valeurs des parents, en partageant de l’information factuelle et en donnant des directives sur les mesures sanitaires, lorsque requis. Un processus privilégiant un partage de la prise de décision aidera le personnel de la santé et les familles à avancer ensemble alors qu’ils seront confrontés à diverses phases de la pandémie de la COVID.

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