(Article d’opinion publié dans le Journal mexicain Sin Embargo, le 26 mai 2020, rédigé par Alejandro Calvillo, un sociologue, collaborateur de l’Organisation Panaméricaine sur la santé et fondateur d’un organisme à la défense des droits des consommateurs au Mexique – Traduction libre par le MAQ)
Greenwashing, Nutriwashing et autres concepts semblables ont été utilisés pour identifier les pratiques des grandes entreprises pour redorer leur image face aux dommages qu’elles causent à l’environnement et à la santé de la population. Des entreprises investissent des millions pour « nettoyer » leur image quand les catastrophes qu’elles causent sont mises en évidence.
La pandémie actuelle a exposé, de manière encore plus crue, les dommages qu’ont engendrés des entreprises avec l’invasion de la malbouffe et les boissons sucrées dans des nations où elles ont détérioré de manière extrême les pratiques alimentaires, comme aux États-Unis et au Mexique.
Les relations cause à effet sont directes : une plus grande consommation de ces produits provoque un plus grand indice d’obésité, de diabète et de maladies cardiovasculaires. Et plus l’indice d’obésité et de diabète sont élevés, plus grand sont les risques de mourir de la COVID-19.
Face à cette situation, la majorité des petits commerçants (plus d’un million cinq cent mille) qui vendent de la malbouffe et des boissons sucrées sur tout le territoire national du Mexique ont placé un plastique entre le vendeur et le client – où l’on y retrouve le logo de Coca-Cola – afin de protéger l’un et l’autre de la COVID-19. Si le vendeur et le client sont des adultes, ceux-ci ont de plus de chances (entre 1 à 10 fois plus) d’avoir le diabète. Et s’ils souffrent de diabète, il est fort probable que la cause la plus importante de leur diabète soit reliée à leur consommation de boissons sucrées, spécialement de Coca-Cola – la boisson la plus consommée. Enfin, comme ils sont plus susceptibles d’avoir le diabète, ils doivent aussi faire plus attention de ne pas tomber malades.
La même entreprise qui contribue de manière importante aux urgences épidémiologiques de l’obésité et du diabète, offre à ceux qui vendent leurs produits et à ceux qui les consomment, un petit morceau de plastique pour qu’ils ne se transmettent pas ce virus qui peut leur être fatal.
Mais leur vrai objectif n’est pas de prendre soin des personnes ni de protéger la santé, car si cela était le cas, Coca-Cola et FEMSA ne se seraient pas opposés au nouvel étiquetage, à la sortie de leurs boissons des écoles et à l’augmentation des impôts sur leurs boissons.
Non, leur objectif est de générer la perception que Coca-Cola est du côté des gens, qu’il s’inquiète pour leur santé : Nutriwashing, c’est pour se refaire une image. Pour que le vendeur et le client pensent « merci, Coca-Cola ! ».
Le COVIDwashing et l’allaitement maternel
De l’autre côté, la plus grande entreprise d’aliments ultra-transformés dans le monde agit en fonction des ses intérêts (l’auteur veut faire référence ici à Nestlé qu’il mentionne plus bas). En matière de détérioration de la nutrition au Mexique, une des situations les plus catastrophiques est la chute du lait maternel, plus particulièrement auprès des populations vulnérables. L’allaitement maternel est une garantie pour le développement des bébés en général, et spécialement dans les communautés défavorisées.
L’allaitement maternel est un facteur de protection, de renforcement du système immunitaire des bébés, qui prévient des dizaines de maladies. Malheureusement, l’allaitement maternel a chuté drastiquement dans ce secteur et particulièrement dans les milieux ruraux. Un des facteurs expliquant cette situation est celui des stratégies de marketing liées aux substituts du lait maternel qui a encouragé le recours à des préparations commerciales pour nourrissons. Avec des échantillons en cadeau et des promotions se construit peu à peu l’impression que ces préparations sont meilleures que le lait maternel.
Profiter des situations d’urgence pour encourager la consommation de leurs produits est une pratique commune chez nombreuses grandes entreprises. Et maintenant, avec le COVID-19, il n’y pas d’exception à la règle : elles introduisent leurs produits à la façon d’une action philanthropique, elles redorent leur image, et engendrent peu à peu l’habitude chez les gens de consommer et d’acheter leur marque.
En violant les recommandations d’UNICEF face à la pandémie et du Code internationale de commercialisation de substituts du lait maternel des Nations Unies, l’entreprise FEMSA et Nestlé se sont alliés pour mener la campagne « Ensemble, on peut nourrir la vie ».
Ils invitent le public à « donner » une boîte de lait Nido en l’achetant à 195 pesos mexicains dans la chaîne de pharmacie de FEMSA, soit les Pharmacies IZA. En faisant ce don, FEMZA, les pharmacies IZA et Nestlé feront un don supplémentaire d’une boîte de lait NIDO et de deux boîtes de substituts de lait maternel de Nestlé NIDAL. Dans la promotion de la campagne, on nous indique que ces dons sont remis à des communautés vulnérables de Veracruz et du sud-est du Mexique.
Les dons de substituts de lait maternel violent les engagements acquis par le gouvernement mexicain et représentent une action qui est punie par diverses nations – puisqu’elle contrevient au Code des Nations Unies – et cela, Nestlé le sait très bien.
Distribuer ces substituts encourage l’abandon de l’allaitement maternel, ce qui a une répercussion sur la qualité de la nutrition des bébés. En contrepartie, les substituts de lait maternel représentent un risque pour la santé, particulièrement au sein des populations vulnérables qui n’ont pas accès à de l’eau de qualité pour leurs bébés, ce qui engendre non seulement des maladies, mais aussi la mort.
L’introduction de substituts de lait maternel de la part de Nestlé dans des populations africaines et autres régions de pays en voie de développement à l’aide de grandes campagnes de marketing (publicité, distribution d’échantillons sous forme de cadeau, promotion par l’intermédiaire de médecins, etc.) amena un grand nombre de femmes à remplacer l’allaitement maternel par des substituts, ce qui provoqua la mort de milliers de bébés.
C’est ce qui donna lieu à la campagne « Nestlé tue des bébés ». Suivie d’un boycottage global contre cette corporation dans les années 70. La cause de ces morts résidait dans l’impossibilité pour les mères de préparer ces substituts avec de l’eau de qualité et de désinfecter les biberons de manière adéquate – une situation évidente au sein de populations qui vivent dans des conditions vulnérables. Bref, des dizaines de milliers de bébés en sont morts.
La persistance de Nestlé dans ses pratiques non éthiques a mené à la création en 1981 du Code internationale de commercialisation des substituts du lait maternel des Nations Unies qui interdit la publicité de ces substituts, la distribution d’échantillons gratuits par des médecins, la promotion de ces produits dans les milieux de santé et autres stratégies de marketing.
Presque 40 ans plus tard, Nestlé perdurent malgré tout avec ses pratiques qui violent le Code et l’appel d’UNICEF, et ce, en partenariat avec FEMSA et sa chaîne de pharmacies.
FEMSA, Coca-Cola, Pepsico, Bimbo, Nestlé et autres… La liste est longue quant aux entreprises qui – avec leurs produits, leurs pratiques de marketing, leurs interventions dans les politiques sur la santé publique, leurs négociations avec des associations professionnelles et leurs actions afin de tirer profit des situations d’urgence – cherchent à redorer leur image tout en maintenant leurs habitudes qui affectent la santé de la population, et ce, en l’éloignant d’une alimentation salutaire.
Chacune mène des actions philanthropiques contre la pandémie tout en traînant derrière elles leur arsenal de stratégies pour bloquer les politiques qui luttent contre les épidémies de l’obésité et du diabète. Des actions philanthropiques par lesquelles elles atteignent divers publics et les transforment en une cible vulnérable à la COVID.