Qui parvient à allaiter ?

31 janvier 23 | Publications - Rapports - Études, Monde

Front. Sociol., 22 July 2022. Sec. Gender, Sex and Sexualities https://doi.org/10.3389/fsoc.2022.904773
Source : https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fsoc.2022.904773/full
Titre original: Who Gets to Breastfeed? A Narrative Ecological Analysis of Women’s Infant Feeding Experiences in the UK

Une analyse narrative et écologique des expériences des femmes du Royaume-Uni en matière d’alimentation des nourrissons

Les débuts de la période postnatale représentent un moment critique dans le parcours vécu par les femmes pour l’alimentation de leur nourrisson. Notamment, car ils sont souvent marqués par des taux élevés d’arrêt involontaire de l’allaitement.

Des recherches indiquent que l’alimentation du nourrisson doit être perçue comme un système complexe dans lequel des facteurs opérants à différents niveaux écologiques (individuel, sociaux/communautaires, culturels/institutionnels) interagissent de manière à affecter les comportements individuels. Cependant, à l’heure actuelle, il reste encore du travail à faire pour mettre en œuvre une approche écologique dans les programmes d’allaitement.

Dans le cadre de cette étude, une approche axée sur des systèmes complexes a été adoptée afin d’explorer comment divers facteurs – individuel, dyade mère-enfant, services du réseau de la santé, réseaux familiaux et sociaux, et infrastructure communautaire – interagissent avec les motivations et les expériences des femmes en en ce qui a trait à l’allaitement.

Une analyse de contenu catégorique a été utilisée pour explorer les interrelations entre les facteurs clés et pour identifier les différentes typologies d’alimentation du nourrisson. Deux typologies différentes ont émergé : soit les typologies «déçues » et « déterminées ». Les femmes « déçues » avaient arrêté l’allaitement prématurément ; les femmes classées comme « déterminées »ont poursuivi l’allaitement malgré les difficultés rencontrées.

Des différences sociodémographiques, sociales et quant aux traitements rendus par le réseau de la santé ont été observées entre les typologies. Les femmes « déçues » étaient plus susceptibles d’être jeunes, de race blanche britannique, et d’avoir envisagé l’alimentation mixte pendant la période prénatale, en plus d’avoir reçu un soutien négatif en matière d’allaitement autant de la part des professionnel(le)s de santé que de leur liens personnels. De plus, les nourrissons des femmes « déçues » étaient plus susceptibles d’avoir reçu des suppléments de façon non planifiée et d’être perçus comme ayant des difficultés d’alimentation.

Les femmes des deux groupes étaient tout aussi susceptibles les unes que les autres de connaître des complications liées à l’accouchement. Mais celles du groupe nommé « déterminées » ont fait preuve de comportements plus proactifs en matière de demande d’aide, ont vécu des expériences positives de soutien personnel et professionnel et ont eu accès à un soutien plus important. Bien que d’autres recherches soient nécessaires pour consolider et/ou réfuter les typologies (« déçues » et « déterminées »), l’approche écologique permet de déplacer le regard des décisions des mères vers les facteurs qui doivent être mis en place, à plusieurs niveaux, afin de permettre aux femmes d’allaiter selon leur volonté.

 

Échantillonnage de l'étude en deux temps

Les femmes éligibles à l’étude étaient âgées de 16 ans ou plus et enceintes de leur premier enfant. Au total, 103 femmes ont participé à l’étude. Les femmes ont été réparties au hasard en deux groupes, les unes recevant les soins courants (soutien à l’alimentation du nourrisson assuré par les sages-femmes, les spécialistes de la santé et par le biais d’un soutien communautaire plus large, par exemple les groupes d’allaitement), et les autres les mêmes soins courants en plus de l’intervention ABA (de type Initiative Amis des bébés).

Pour les besoins de cette étude, celle-ci s’est concentrée sur les témoignages des femmes lors de la période prénatale. Cette mesure visait à permettre une compréhension approfondie des différents facteurs qui facilitent ou entravent les motivations des femmes à allaiter, et à éviter de biaiser l’analyse en incluant celles qui avaient des intentions incertaines d’allaiter.

Une analyse secondaire a permis de mener des entretiens auprès de 24 femmes. Ces dernières entretenaient toutes une forte intention prénatale d’allaiter leur premier bébé. Les femmes incluses avaient entre 21 et 38 ans, 70,8% étaient blanches, la moitié de l’échantillon avait un niveau d’études supérieur ou égal à un diplôme, et toutes sauf une avaient un emploi rémunéré. Dans l’ensemble, nous avons constaté que si les 24 femmes avaient toutes commencé leur parcours d’allaitement avec la ferme intention d’allaiter, près d’un tiers d’entre elles avaient cessé d’allaiter 8 semaines après la naissance. L’analyse du contenu catégoriel a permis d’identifier deux typologies dans l’ensemble des données, classées comme « déçues» (n = 7, 29,2%) et « déterminées» (n = 17, 70,8%).

Des décisions prises au sein d’un système plus grand que soi

Lorsqu’on leur demande pourquoi elles ont cessé d’allaiter, les femmes évoquent souvent des problèmes liés à des seins ou des mamelons douloureux, des difficultés rencontrées dans la prise du sein et la perception de manquer de lait maternel. Ces raisons, rapportées par les mères elles-mêmes, attirent l’attention sur des facteurs d’un point de vue individuel.

Il existe toutefois de nombreuses preuves selon lesquelles les décisions relatives à l’alimentation des nourrissons doivent être appréhendées dans un système complexe d’influences qui opèrent à différents niveaux écologiques. Une approche des systèmes complexes affirme que « les propriétés des parties ne peuvent être comprises que dans le contexte de l’ensemble » et considère l’importance du libre arbitre des personnes ainsi que les paramètres du système dans lesquels elles évoluent. Ces paramètres comprennent le réseau de la santé, les réseaux familiaux et sociaux, et l’infrastructure communautaire au sens large. Ces observations font partie d’un tournant contextuel dans la réflexion sur les moyens de remédier aux faibles taux d’allaitement, tel qu’abordée par UNICEF, en 2018.

Ainsi, l’approche écologique permet de ne plus se focaliser sur les décisions des mères, mais sur l’importance d’améliorer les services offerts par le réseau de la santé et le soutien et les services offerts par le réseau communautaire, et de s’attaquer aux obstacles socioéconomiques, culturels, environnementaux et législatifs à l’échelle nationale.

Fait notable : la volonté et la confiance en soi des mères se sont avérées déterminante dans le parcours d’alimentation du nourrisson. Les mères qui ont confiance en leur capacité à allaiter sont plus à même de surmonter les obstacles à l’allaitement. Les interventions visant à améliorer cette confiance en soi, par exemple par le biais de l’éducation prénatale et du soutien par les pairs, révèlent que les femmes sont susceptibles d’allaiter exclusivement pendant plus longtemps. Cependant, peu de renseignements existent sur la manière dont le sentiment d’auto-efficacité interagit avec des facteurs contextuels, puis comment ceux-ci le façonnent. Par exemple, la recherche suggère que la famille et les réseaux sociaux des femmes jouent un rôle clé dans le développement de l’auto-efficacité des femmes en matière d’allaitement. Les femmes qui ont été allaitées durant leur enfance, et qui connaissent d’autres personnes qui ont allaité, sont aussi plus susceptibles d’allaiter.

En outre, l’impact du réseau de la santé sur les décisions des femmes, notamment les connaissances, les croyances et l’attitude des professionnel(le)s de la santé, semble agir comme un paramètre significatif pouvant augmenter la confiance en soi et les taux d’allaitement. D’ailleurs, il a été noté que les interventions visant à améliorer l’auto-efficacité de la mère peuvent avoir du mal à s’imposer dans un réseau qui est « brisé », puisque leur influence devient principalement corrective (et non préventive).

L’allaitement à l’échelle individuelle

Les données marquantes à cette échelle concernent les facteurs sociodémographiques individuels (par exemple, l’âge, l’origine ethnique, l’éducation, le statut professionnel) et les motivations liées à l’allaitement et à la recherche d’aide.

Dans l’ensemble, les femmes de la typologie « déçues » étaient plus jeunes et plus susceptibles d’être de race blanche britannique par rapport à celles de la typologie « déterminées ». En ce qui concerne la motivation à allaiter, alors que toutes les femmes incluses dans l’échantillon ont exprimé de fortes intentions d’allaiter, moins d’un tiers des femmes « déçues » prévoyaient d’allaiter exclusivement, comparé à plus de la moitié de celles de la catégorie plus « déterminées ». Certaines des femmes « déçues » étaient attristées par leur décision d’interrompre l’allaitement, comme en témoignent des phrases telles que « j’ai été dégoûtée » ; d’autres étaient plus ambivalentes : « mais c’est mieux que d’avoir un bébé malheureux et en mauvaise santé, alors je l’ai accepté ». De plus, certaines avaient encore des convictions positives quant à l’importance de l’allaitement et étaient prêtes à réessayer avec un futur bébé.

Une autre observation quant à la motivation s’est manifestée sous la forme de comportements pour chercher de l’aide. Un pourcentage plus élevé de femmes « déterminées » (88,2% contre 57,1%) a fait preuve d’un comportement proactif en cherchant un soutien pour leur allaitement (en période prénatale et/ou postnatale). En outre, toutes les femmes classées dans cette catégorie de typologie ont eu accès à un soutien communautaire plus large, contre 28,6% des femmes identifiées comme « déçues ».

L'allaitement à l'échelle socioculturelle

Ce niveau concerne les facteurs sociaux et culturels qui influencent les décisions et les comportements des femmes. Des pourcentages similaires de femmes dans les deux typologies ont reçu du lait maternel dans leur enfance, bien que ces expériences aient été parfois limitées. Toutes les femmes, à l’exception d’une seule, connaissaient une personne qui avait allaité. À noter que les femmes ont parlé des diverses façons que ces expériences indirectes ont affectées leur attitude et leur comportement.

Une des femmes « déterminée » a décrit comment le fait de voir une amie qui était « vraiment concentrée sur son allaitement et semblait se faire pression » sans pour autant être bien avec cette dynamique, l’a amenée à réaliser qu’elle tenterait le coup de manière zen. Pour d’autres, c’est le fait de constater l’impact du non-allaitement qui a influencé positivement leur décision (ex. : bébé est plus souvent malade). D’un autre point de vue, certaines ont raconté l’histoire d’amies qui ont été « traumatisées par le fait que l’allaitement n’ait pas fonctionné […] et qui ont finalement opté pour les préparations ».

En ce qui concerne le soutien des réseaux personnels, alors qu’un pourcentage plus élevé de femmes dans la typologie « déterminées » ont reçu un soutien positif (94,1 contre 42,9%), des pourcentages similaires (~30-40%) des femmes dans les deux groupes ont reçu un soutien négatif. Le soutien négatif incluait des encouragements à utiliser des préparations commerciales pour nourrissons (PCN).

L’allaitement à l’échelle de la dyade

Le type de système lié à la dyade mère-enfant au moment de la naissance, ou lors de la période postnatale, peut influencer l’allaitement. Il est connu que l’alimentation du nourrisson a lieu dans une dyade où les deux parties, la mère et l’enfant, sont réciproquement réceptifs. Dans l’ensemble, les pourcentages de femmes qui avaient subi une ou plusieurs interventions pendant la naissance (~60-70%) ou qui avaient connu des complications (ex.: diabète gestationnel, hémorragie post-partum, éruption fongique sur les seins, accouchement long et traumatique qui a retardé le contact peau à peau) pendant la grossesse, la période intrapartum et/ou postnatale (~40-50%) sont similaires. 

Certaines des femmes « déçues » considéraient que l’accouchement était directement responsable des difficultés d’alimentation. Par exemple, dans le cas d’un accouchement par ventouse, où la femme a déclaré que son enfant avait subi « des problèmes au dos, au cou, à la bouche et à la mâchoire, rendant l’alimentation difficile ». D’autres complications liées à l’alimentation du nourrisson seraient apparues au cours de la période postnatale, notamment la perte de poids, le frein de langue, le reflux, la mastite, des douleurs aux mamelons, ou des inquiétudes liées à l’insuffisance de lait maternel.

L’allaitement à l’échelle du réseau de la santé

Les facteurs opérant à ce niveau concernent la qualité et les types de soutien que les femmes ont reçu de la part des professionnel(le)s, y compris ceux des intervenantes à l’hôpital, dans la communauté,dans les ressources communautaires d’entraide à l’allaitement (RCA) et par les assistantes du programme ABA. Dans l’ensemble, un pourcentage plus élevé de bébés de femmes « déçues » avait reçu un supplément non planifié de PCN pendant leur séjour à l’hôpital. Souvent, ces femmes ne décrivaient pas cette situation en termes négatifs, car elles l’avaient perçu comme une nécessité (médicale).

En contrepartie, un pourcentage plus élevé de femmes « déterminées » avaient reçu un soutien positif de la part de professionnel(le)s de la santé, à la fois pendant leur séjour à l’hôpital et par l’intermédiaire de leur communauté (76,5 contre 42,9% respectivement). Le soutien positif comprenait du réconfort, d’encouragements à utiliser le soutien disponible (ex. : RCA), et des soins personnalisés.

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