Démystifier la relactation

8 août 22 | Monde, MAQ, Québec

Face à la pénurie des préparations commerciales pour nourrissons qui a affligé l’Occident, ces derniers mois, une pratique qui semblait avoir été jetée aux oubliettes a refait surface : la relactation.

Nombreuses auront été surprises d’entendre qu’il est possible de repartir l’allaitement après une mise à terme plus ou moins longue. Des médias ont d’ailleurs proposé en guise de solution la relactation pour assurer le bien-être des petits durant cette conjoncture critique. Une proposition qui a été reçue comme une gifle du patriarcat par certaines qui la considèrent comme une autre forme d’injonction féminine.

Quoique la décision d’allaiter – ou de relacter – revienne entièrement à la mère, le processus de la relactation demeure en soi un mystère pour plusieurs. C’est donc en vue de démystifier cette pratique pour celles qui lui accordent un brin de curiosité que le MAQ a rédigé cet article.

Faire du temps son ami

« Il faut du temps, de la patience, et il faudra pallier à la faim de l’enfant d’une autre façon, comme avec une préparation pour nourrisson, puisqu’il risque de ne pas y avoir de lait maternel, ou très peu, en début de relactation », explique Marie-Lyne Pelletier, impliquée depuis six ans au sein de la Ligue La Leche et depuis 10 ans dans le réseau de l’allaitement.

La relactation peut donner l’impression de nager à contre-courant. Lorsque le lait maternel coule au compte-gouttes, une réaction populaire est d’opter pour des préparations commerciales pour nourrissons (PCN) et s’aligner vers un sevrage de bébé. Par contre, après coup, certaines femmes peuvent souhaiter revenir en arrière et relacter.

Généralement, une suite de circonstances, telles qu’un accouchement difficile, la nouveauté qui accompagne un premier bébé, la fatigue des premières semaines, des conseils contradictoires pendant une période de vulnérabilité, peuvent précipiter la fin d’un allaitement. « Une fois que la vague [du début] passe des femmes réalisent que leur projet d’allaitement n’est pas celui qu’elles désiraient, raconte Mme Pelletier. Mais, elles pensent souvent qu’elles n’y parviendront pas [à relacter]. »

La grande majorité y parvient toutefois, indique la monitrice. Ne serait-ce que de manière partielle, à défaut de pouvoir allaiter exclusivement. « Chaque goutte compte pour le bien-être immunitaire de l’enfant, rappelle-t-elle. Puis le lait maternel, ce n’est pas juste une source nutritionnelle, c’est aussi relationnel. »

Les cas difficiles pour parvenir à la relactation concernent notamment des personnes aux prises avec des problèmes sous-jacents, comme l’hypoplasie où il est question d’un manque de glandes mammaires. Elles seront alors référées à des spécialistes telles que des consultantes en lactation (IBCLC). Autrement, à force d’efforts rigoureux permettant l’expression complète des seins de huit à douze fois quotidiennement – jour et nuit, parfois à l’aide d’un tire-lait double – la production du lait maternel peut se rétablir après deux semaines environ.

Des éléments qui ont changé la donne

Le peau à peau est une pratique fortement encouragée durant le processus de relactation par les bénévoles en allaitement. Charlotte Boucher-Beaulieu, ayant eu son bébé depuis quelques  mois, a misé sur la proximité physique lorsqu’elle a décidé de donner une nouvelle chance à son allaitement. « J’allaitais plus souvent pour stimuler ma production, même la nuit. Je donnais toujours le sein… dès qu’il y avait un problème quelconque, que je voyais mon petit épris d’une émotion de colère ou de tristesse : le sein. »

Ce rapprochement continu aura contribué à « réussir son allaitement », ce qui fut pour elle une surprise. Les trois premières semaines avec son bébé avaient été l’enfer. Mamelons crevassés, engorgement, mastite… Les spécialistes (IBCLC, marraine, ostéopathe) qui la suivaient à ce moment-là n’ont rien pu pour elle. Afin de ne plus subir de douleurs, elle recourt aux PCN. Or, son enfant manifestait au fil des semaines des reflux constants. Même les PCN hypoallergéniques ne changeaient rien. En visite chez son médecin, ce dernier l’encourage à reconsidérer le lait maternel, même si sa production de lait avait chuté de plus de 90%. Son nourrisson, âgé de deux mois, avait été mis au sein seulement trois fois dans le courant des cinq dernières semaines.

Au retour à la maison, elle s’essaie. En observant son mamelon, elle constate qu’il n’épouse plus la forme d’un biseau. Son petit parvient à une bonne prise du sein, mais sur le coup, Charlotte n’a pas d’attentes. Elle se questionne sur les probabilités que ça fonctionne : elle trouve ses seins trop mous, sa production de lait a énormément diminué. Elle sollicite par téléphone sa marraine d’allaitement qui lui insuffle des mots d’encouragements et des conseils, notamment la pratique prometteuse du peau à peau. La nouvelle mère complètera pendant deux semaines l’alimentation de son bébé avec le biberon pour calmer sa faim avant de parvenir à l’allaiter exclusivement au sein.

Elle reconnaît aujourd’hui qu’un élément crucial qui a contribué à sa relactation a été son état d’esprit. Au retour à la maison, sa première tétée s’est déroulée sans arrière-pensée, se rappelle-t-elle. En même temps, cela a fait de la place à autre chose : le sentiment que c’était fort possible d’allaiter a émergé. « Je me sentais plus disponible émotionnellement [qu’après l’accouchement], décrit-elle. Je n‘avais aussi plus rien à perdre. Ça ne pouvait pas mal aller, ou être pire que les premières semaines ou que le deuil de l’allaitement que j’avais vécu comme un déchirement. Dans le fond, c’était vraiment mon rêve profond d’allaiter. L’important, je crois, c’est d’y aller sans pression. Faire de son mieux. Car l’allaitement, ce n’est pas aussi inné qu’on le pense. »

Pas de stress

Le stress est contre-productif pour l’allaitement, insiste Mary-Line Pelletier. Depuis la pandémie, et en période de pénurie de PCN, plus récemment, elle a constaté un désir accru des parents à vouloir poursuivre leur allaitement plus longtemps. Les appels téléphoniques et les questions en ateliers en ce sens ou sur comment conserver le lait maternel affluent. Clairement, ces deux contextes sociaux sont source d’inquiétudes pour les familles.

Annabelle Boucher, consultante en lactation IBCLC, avance que « la cause numéro un » de l’abandon de l’allaitement est la peur de manquer de lait maternel. Pourtant, lorsqu’un ralentissement dans la production se fait sentir, au lieu d’entrevoir le début de la fin de l’allaitement, les personnes qui aimeraient encore allaiter devraient voir à augmenter la demande. « En mettant le bébé plus souvent au sein, même deux fois de plus par jour, peut faire une différence », avance-t-elle. Alterner les seins, un tire-lait ou un dispositif d’aide à l’allaitement (DAL) peut aider. Ainsi qu’une ‘‘station d’allaitement’’ dans la maison et l’aide du ou (de la) conjoint(e).

Viser une relactation complète demeure une demande moins courante, selon ses observations. « C’est plus rare de voir quelqu’une qui a fait le deuil de son allaitement de chercher à s’y remettre. » Mme Boucher pense particulièrement au contexte où les personnes qui ont arrêté d’allaiter sont normalement bien dans leur décision. Elle reconnaît toutefois que certaines femmes regrettent leur choix. « Certaines ont arrêté au début ou parce qu’elles voulaient s’enlever ce ‘‘fardeau de l’allaitement’’ et sont plus tard malheureuses et ne parviennent pas à surmonter leur deuil. »

Des conditions favorables à la relactation

Celles qui songent sérieusement à relacter peuvent avoir plus de chances d’y parvenir selon certains facteurs. Par exemple, il est plus facile de relacter un bébé âgé de quelques mois, qui a encore le réflexe aiguisé d’aller chercher le sein. Dans le cas d’une mère qui n’aurait jamais allaité, ou presque pas, ça risque d’être très difficile, voire presque impossible, selon Mme Boucher. Par contre, la médication peut aider un parent à faire un bout de chemin dans relactation. Le Dompéridone, un médicament approuvé au Canada, aide parfois même les parents n’ayant pas accouché à allaiter un tant soit peu, comme ceux ayant adopté.

Une consultante en lactation IBCLC pourra procéder à une évaluation complète et établir un plan de match avec une famille, mais il demeure important « dès le début de clarifier des attentes réalistes et de leur faire comprendre que ça risque de ne pas revenir à 100 % [la production] », ajoute Mme Boucher. Si une consultante détient des connaissances spécifiques pour aider à la situation, les suivis réguliers auprès d’une famille sont plutôt assurés par des monitrices ou des marraines d’allaitement formées pour soutenir une filleule (nouvelle mère).

La proximité physique entre la mère et son bébé, qui est recommandée lors de la (re)lactation, est aussi vivement encouragée par Annabelle Boucher, notamment parce qu’elle aiderait à réduire le stress qui accompagne souvent ce processus. Le stress inhiberait l’ocytocine, insiste-t-elle, qui est une hormone interreliée à l’allaitement, connue aussi comme « l’hormone de l’amour ». À l’opposé du stress, « l’amour fait couler le lait », lance-t-elle. S’adonner alors à cœur joie à plus de câlins, pour plus d’amour, est une pratique qu’on n’a pas à craindre de recourir à l’excès.

Quelques sources de renseignements sur la relactation

Crédit photo: Mateusz Dach

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