Beggs, B., Koshy, L. & Neiterman, E. Women’s Perceptions and Experiences of Breastfeeding: a scoping review of the literature. BMC Public Health 21, 2169 (2021). https://doi.org/10.1186/s12889-021-12216-3
Malgré les efforts issus du réseau de la santé publique visant à promouvoir l’allaitement maternel, les taux mondiaux d’allaitement maternel restent en dessous des objectifs fixés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Même si la littérature explorant les croyances et les pratiques en matière d’allaitement se multiplie, elle offre des explications diverses et parfois contradictoires concernant les attitudes et les expériences des femmes à l’égard de l’allaitement.
Cette étude explore la littérature empirique existante concernant les perceptions et les expériences des femmes en matière d’allaitement. L’objectif global de cette étude est d’identifier les barrières auxquelles les mères sont confrontées lorsqu’elles tentent d’allaiter et les types de soutien dont elles ont besoin pour guider leurs décisions en matière d’allaitement.
Méthodes
Cette étude utilise une méthodologie de revue exploratoire développée par Arksey et O’Malley. Les bases de données PubMed, CINAHL, Sociological Abstracts et PsychInfo ont été consultées à l’aide d’une chaîne de mots-clés prédéterminée. Après avoir éliminé les doublons, les articles publiés entre 2010 et 2020 en anglais ont été filtrés pour déterminer leur admissibilité. Un outil d’extraction de la littérature et une analyse thématique ont été utilisés pour coder et analyser les données.
Résultats
Au total, 59 articles ont été inclus dans la revue. L’analyse thématique a démontré que les mères ont tendance à supposer que l’allaitement sera facile et trouvent difficile d’affronter les défis de l’allaitement. Le manque de soutien du partenaire et des réseaux sociaux, ainsi que les conseils des professionnel(le)s de la santé jouent un rôle essentiel dans la décision des femmes d’allaiter.
Brève conclusion
Bien que les mères qui allaitent soient généralement conscientes des avantages de l’allaitement, elles rencontrent des barrières à l’échelle individuelle, interpersonnelle et organisationnelle. Il est important de reconnaître que l’allaitement est associé à des défis et qu’il faut fournir un soutien adéquat aux mères afin que leur expérience puisse être améliorée. Puis, afin que les taux d’allaitement puissent atteindre les objectifs identifiés par l’OMS.
Un peu plus sur les perceptions à l’égard de l’allaitement
Les perceptions des femmes sur l’allaitement sont abordées dans 83% (n = 49) des articles. La plupart des articles (n = 31) suggèrent que les femmes perçoivent l’allaitement comme une expérience positive et pensent que l’allaitement possède plusieurs bienfaits. Les expressions « le sein est le meilleur » et « le lait maternel est le meilleur » ont été utilisées fréquemment par les participantes des études incluses dans la littérature examinée. L’allaitement maternel a été perçu comme un moyen améliorant le lien émotionnel entre la mère et l’enfant, renforçant le système immunitaire de l’enfant et renforçant l’estime de soi de la mère. L’aspect pratique de l’allaitement (par exemple, sa disponibilité et son faible coût) et le rôle de l’allaitement dans la perte de poids pendant la période post-partum ont été mentionnés dans la littérature comme d’autres facteurs qui façonnent positivement les perceptions des mères sur l’allaitement.
La littérature suggère que les perceptions des femmes sur l’allaitement et les choix alimentaires sont également influencés par les conseils des professionnel(le)s de la santé. Paradoxalement, les messages sur l’importance et la simplicité relative de l’allaitement peuvent également contribuer à un décalage entre les attentes des femmes et les expériences réelles de l’allaitement. Par exemple, des études publiées au Canada et en Suède ont révélé que les femmes s’attendaient à ce que l’allaitement se déroule « naturellement » qu’il soit facile et agréable. Par conséquent, certaines femmes ne se sont pas senties préparées aux défis associés à l’initiation ou à la poursuite de l’allaitement. La littérature indique que les mères peuvent se sentir dépassées par la fréquence des tétées et par l’ampleur des difficultés physiques associées à l’amorce de l’allaitement. Étant donné que les femmes associent généralement l’allaitement au fait d’être une bonne mère, des chercheurs avancent que l’incapacité à allaiter peut susciter un sentiment d’échec personnel.
Les expériences personnelles des femmes et leurs perceptions vis-à-vis l’allaitement étaient également influencées par la pression culturelle à l’égard de l’allaitement. Des mères galloises interrogées au Royaume-Uni, par exemple, ont révélé qu’elles étaient confrontées au jugement et à la désapprobation quand des personnes de leur entourage découvraient qu’elles avaient décidé de ne pas/plus allaiter. Les femmes se souviennent d’avoir été questionnées par d’autres personnes, y compris des inconnus, lorsqu’elles donnaient le biberon à leur enfant.
Des barrières à l’allaitement
La grande majorité (n = 50) des études de la littérature a identifié plusieurs barrières à un allaitement réussi. Une proportion considérable de la littérature (41%, n = 24) a exploré les expériences des femmes en ce qui concerne les aspects physiques de l’allaitement. En particulier, les problèmes de prise du sein et la douleur associée à l’allaitement étaient souvent cités comme des barrières à l’amorce de l’allaitement. Une production lactée insuffisante, qu’elle soit réelle ou perçue, a été mentionnée comme un autre obstacle à l’amorce et à la poursuite de l’allaitement. Les mères allaitantes étaient parfois incapables de déterminer la quantité de lait consommée par leur enfant (contrairement à ce qu’elles pouvaient voir lorsqu’il était nourri au biberon), ce qui les rendaient anxieuses et incertaines quant à l’horaire des tétées. Selon certains chercheurs, l’incapacité des femmes à surmonter ces défis est liée à une faible confiance en leur capacité à allaiter, ainsi qu’à un sentiment d’épuisement ou à une dépression post-partum.
En plus des défis personnels et physiques rencontrés par les mères qui prévoyaient d’allaiter, la littérature a également souligné l’importance de l’environnement social comme barrière potentielle à l’allaitement. Les réseaux personnels des mères ont été identifiés comme un facteur clé dans le façonnement de leurs comportements d’allaitement dans 43 (73%) articles inclut dans cette revue. Dans une étude publiée au Royaume-Uni, le manque de modèles – mères, autres femmes de la famille et amies allaitantes – a été cité comme l’une des barrières potentielles à l’allaitement. Certains membres de la famille et amis décourageaient aussi activement l’allaitement, tout en remettant en question les avantages de cette pratique comparativement à l’alimentation au biberon. L’allaitement pendant les réunions de famille ou en présence d’autres personnes a également été signalé comme un défi pour certaines femmes issues de groupes ethniques minoritaires au Royaume-Uni et pour les femmes noires aux États-Unis.
La littérature a rapporté des cas occasionnels où des décisions liées à l’allaitement ont créé des conflits dans les relations de femmes avec leurs proches. Certaines ont indiqué qu’elles avaient subi des pressions de la part de leur proche pour cesser d’allaiter, spécialement lorsque les femmes continuaient à allaiter six mois après l’accouchement. Dans l’ensemble, la littérature suggère que les partenaires jouent un rôle crucial dans les pratiques d’allaitement des femmes, bien qu’il n’y ait pas eu de constance dans les articles examinés concernant le niveau de soutien manifesté par les partenaires pour l’allaitement.
Les connaissances, en particulier les connaissances pratiques sur l’allaitement, ont été mentionnées comme une barrière dans 17% (n = 10) des articles inclus dans cette revue. Alors que les professionnel(le)s de la santé étaient perçus comme une source principale d’information sur l’allaitement, certaines études ont rapporté que les mères estimaient que l’information fournie n’était pas utile et contenait parfois des conseils contradictoires. Ce constat a été rapporté dans diverses juridictions, incluant les États-Unis, la Suède, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, où les mères ont rapporté qu’elles n’avaient aucun soutien de la part de leurs professionnel(le)s de la santé, ce qui rendait difficile de résoudre des problèmes d’allaitement.
L’allaitement dans l’espace public est apparu comme une barrière clé dans la littérature examinée et a été cité dans 56% (n = 33) des articles. En examinant les expériences de mères allaitantes aux États-Unis, Spencer, Wambach, & Domain ont suggéré que certaines participantes ont déclaré se sentir « effacées » des conversations lorsqu’elles allaitent dans l’espace public, rendant leur corps symboliquement invisible. Le manque d’espaces publics adaptés à l’allaitement a contraint de nombreuses femmes à modifier la façon de nourrir leur bébé dans l’espace public et à se retirer dans un espace privé ou plus isolé, comme leur voiture personnelle. L’hypersexualisation des seins des femmes a été notée à plusieurs reprises comme la raison principale des expériences négatives des femmes américaines et de leur sentiment de gêne à l’idée d’allaiter devant les autres. Des études ont rapporté que des femmes ont ressenti la désapprobation ou le dégoût des autres lorsqu’elles allaitaient en public, et certaines ont rapporté que des femmes ont choisi de ne pas allaiter en public parce qu’elles ne voulaient pas mettre leur entourage mal à l’aise.
Finalement, le retour à un emploi rémunéré a été mentionné dans la littérature comme un défi important pour la poursuite de l’allaitement. Le manque de soutien dans les environnements de travail ou l’incapacité d’exprimer le lait ont été cités par les femmes comme des barrières à la poursuite de leur allaitement aux États-Unis et en Nouvelle-Zélande.
Conclusions de l’étude
Les femmes qui allaitent rencontrent de nombreuses difficultés lorsqu’elles amorcent l’allaitement, et la plupart d’entre elles ne parviennent pas à respecter les recommandations actuelles de santé publique en matière d’allaitement.
Cette étude exploratoire a mis en évidence la nécessité de revoir les messages de santé publique de manière à reconnaître les défis rencontrés par nombreuses femmes lors de l’allaitement et d’inclure les réseaux sociaux des femmes comme public cible de ces messages.
Cette revue montre également que toutes les femmes ont besoin de soutien et de conseils en matière d’allaitement, mais qu’il est également nécessaire d’adapter les messages de santé publique aux normes sociales et à la culture locale.
L’impact que peuvent avoir le rôle des institutions sociales et les discours culturels sur les expériences des femmes en matière d’allaitement doit également être reconnu et optimisé par les professionnel(le)s de la santé qui promeuvent l’allaitement.
Traduction libre
Crédit photo: 2015/A.Krepkih